La loi du 9 décembre 1905 affirme la neutralité de la république vis-à-vis des religions ; elle donne également un contenu positif à la laïcité en soulignant que la République assure la liberté de conscience.
La laïcité ne doit pas être vécue comme une contrainte, l’expression d’une quelconque tyrannie de l’État pour reprendre la mise en garde formulée par CLÉMENCEAU lors des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi de 1905. La laïcité n’a de sens que si elle est un droit du citoyen constitutif de la citoyenneté moderne.
Pourquoi affirmer un tel droit ? Afin que chacun d’entre nous puisse s’ouvrir aux autres par delà ses croyances, ses origines et qu’émerge une communauté de citoyens. Celle-ci ne peut être imposée d’en haut, elle est une construction infinie, un effort perpétuel sur l’ensemble des forces qui chaque jour peuvent nous ramener en arrière, le produit d’un esprit citoyen.
Le véritable esprit citoyen, c’est l’esprit critique qui refuse l’enrégimentement de la pensée, qui dialogue avec l’autre non dans un simple esprit de tolérance mais dans une volonté de construire les règles du vivre ensemble. Seule la laïcité permet aux individus de dépasser leurs différences. A ce titre, elle est le meilleur antidote contre les dérives ethnicistes ou communautaristes qu’on voit se profiler çà et là. Toutes ces dérives engendrent peu ou prou des replis identitaires, expression d’une peur ou d’un rejet de l’autre, refus d’une volonté de vivre ensemble sans laquelle aucune société ne saurait exister.
À ce titre, la laïcité ne peut qu’être une utopie qui, au plan philosophique s’apparente à un principe régulateur, une sorte de ligne d’horizon. Pour chacun d’entre nous, elle doit être à la fois une promesse et une espérance, la promesse d’un monde plus juste et l’espérance d’une libération progressive de l’humanité, un rempart contre toutes les dominations culturelles, familiales, sociales qui agissent comme autant d’entraves à l’émancipation intellectuelle et matérielle des hommes.
Le rôle de l’État consiste à garantir ce droit à l’école, mais également sur le lieu de travail, dans l’espace des services publics où chaque citoyen est usager. C’est ainsi que la laïcité vivifiera la société civile.
La laïcité doit être en premier lieu au coeur d’un projet éducatif. Cela passe par des interdits. La loi récente sur l’interdiction du port de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse en est un exemple. Mais la laïcité doit être également attractive. L’école doit être capable d’aborder de manière décomplexée le fait religieux, sans crainte, dans l’objectif de faire comprendre à chacun la pluralité des religions et pour expliquer également que c’est en dehors d’elles que l’on peut construire une société véritablement humaine. L’école doit aussi être le lieu d’éveil de l’esprit critique, ce qui nécessite de développer les apprentissages centrés sur l’analyse et la prise de distance vis-à-vis des dogmes, des croyances, des idéologies.
Au-delà de l’école, la laïcité doit être un fondement de l’intégration sociale, ce qui passe par la lutte contre toutes les formes de discriminations: urbaines, sociales, en matière d’embauche, discriminations entre les sexes qui marquent un certain recul de la mixité. Face aux associations communautaires, notamment confessionnelles, l’État doit faire preuve, le cas échéant, de la même rigueur qu’en 1905.
Enfin il existe des inquiétudes quant à l’impact sur la laïcité de la construction européenne. Le rayonnement de la laïcité à la française n’est pas menacé au motif que la France constituerait en la matière une exception. Là encore, le modèle français redeviendra une référence s’il montre sa capacité à construire une société ouverte, progressive qui organise la juste promotion de ses enfants de toutes les origines. On peut craindre le succès d’une europe purement marchande. Mais ne nous y trompons pas. Ce succès ne serait que la conséquence d’une nouvelle trahison des clercs !
Cela étant, au moment même où l’on craint le recul de la laïcité en europe, la question de l’adhésion de la Turquie à l’europe replace la laïcité au premier plan. Seule une europe, en effet, résolument laïque pourra intégrer ce pays candidat et cela pour au moins deux raisons. Tout d’abord, ce sont les institutions laïques dont il s’est doté après le premier conflit mondial qui soulignent l’orientation occidentale d’un pays géographiquement tourné vers l’Asie. Ensuite, dans la mesure où la Turquie est un pays où la religion dominante est l’islam, seule la laïcité peut devenir le ciment commun d’une europe que la géographie conduit inévitablement à se tourner vers l’orient.
La laïcité est en effet le levier permettant d’accéder à une liberté authentique, à savoir la liberté de l’esprit, un esprit éclairé et débarrassé des préjugés de toutes sortes qui permettra de lever le voile d’ignorance qui plonge la société dans les rets de la servitude, servitude subie et servitude volontaire en référence à LA BOÉTIE qui reste l’un des grands penseurs de l’humanisme moderne.
Daniel KELLER
Sympathisant de l’Entraide Universitaire